L’histoire de l’avortement, c’est d’abord l’histoire du corps des femmes, qui est et a toujours été un corps politique. Un corps scruté, réglé, rangé.
Un corps qu’examine la loi, sous toutes ses coutures, à qui l’on n’a cessé de prescrire des façons d’être, de se tenir, de se vêtir.
L’histoire de l’avortement, c’est l’histoire de celles qui ne se rangent pas. Parce qu’elles ne le veulent pas, parce qu’elles ne le peuvent pas. Des femmes à qui on réserve tous les raffinements de la douleur et de la honte. Car il n’a jamais suffi d’interdire aux femmes : encore fallait-il les faire souffrir.
L’histoire de l’avortement, c’est un cintre plongé dans l’utérus, sur une table de cuisine ; ce sont des vessies et des intestins perforés ; ce sont des curetages pratiqués sans anesthésie dans les hôpitaux. Ça lui apprendra.
Dans cette histoire, des femmes et des hommes ont lutté : Simone Veil, Gisèle Halimi, Lucien Neuwirth, Claudius Petit, Jacques Chirac, des médecins, des avocats et des foules d’anonymes, de femmes.
Quand nous avons, il y a maintenant plus d’un an, déposé une proposition de loi visant à inscrire la liberté des femmes à recourir à l’interruption volontaire de grossesse dans le texte fondamental et fondateur de notre République, tant de voix se sont élevées pour nous dire que c’était inutile et superflu.
Oui, cette loi est un symbole. Un symbole fier de ce que nous sommes, de ce en quoi nous croyons et de ce qui fonde le projet d’émancipation et d’égalité de la France.
Mais cette loi n’est pas seulement un symbole. Parce que pour des femmes trop nombreuses encore, ce droit est entravé, par des défauts d’accès à l’information, d’accès aux soins, d’accès à un accompagnement adapté.
Je fais partie d’une génération qui croyait que l’histoire avancerait inéluctablement vers le progrès des sociétés. Que les combats se gagneraient, pied à pied et sans retour.
Je suis la fille d’une mère qui a risqué la prison et la mort pour avorter dans la clandestinité ; et la mère d’une fille que je souhaite voir grandir libre. Libre de disposer de son corps, d’un corps qui ne soit plus scruté, réglé, rangé.