Suite au débat sur la préservation de nos libertés publiques et la protection de ceux qui nous protègent, retrouvez mon interview accordée à l’Express

« L’Express : Plusieurs syndicats de journalistes et sociétés de rédacteurs ont manifesté samedi 21 novembre contre la proposition de loi « sécurité globale ». Le divorce est-il consommé entre la presse et la Macronie ?

Aurore Bergé : Cela fait malheureusement trop d’années que politiques et journalistes se renvoient la balle pour savoir quelle profession est la plus détestée des Français. Il y a régulièrement des épisodes de mise en accusation des uns ou des autres. Des politiques se plaignent de journalistes en fonction d’articles, d’émissions ou de tribunes qui leur seraient défavorables : heureusement que l’on a toute latitude pour émettre un avis sur ce que l’on entend, lit ou voit, mais distribuer des bons ou des mauvais points à des journalistes, c’est une hérésie. Et, si l’objectivité n’existe pas, si chaque journaliste a heureusement un point de vue, et chaque média une ligne éditoriale, ça n’est pas la même chose quand des journalistes brouillent eux-mêmes les cartes en étant dans des postures clairement militantes.

A cela ajoutons que plusieurs difficultés se conjuguent. L’intrusion de médias étrangers, comme Russia Today, qui visent à des tentatives de déstabilisation de notre pays depuis l’étranger. Le développement des réseaux sociaux, qui pose mille questions : comment arrêter la propagation de fausses informations ? Comment faire la différence entre ce qui relève de la parodie et du militantisme ? Face au diktat de l’immédiateté, comment journalistes et politiques peuvent-ils prendre du recul dans la manière de commenter les événements ? Enfin, la plus grande difficulté est la crise économique que traversent les médias, aggravée par la conjoncture actuelle, avec des rédactions compressées et des journalistes qui ont de moins en moins de moyens, et donc de temps, pour rendre de plus en plus de papiers. L’ensemble de ces difficultés accentue probablement les tensions entre élus et journalistes. C’est délétère. Se mettre perpétuellement en accusation mutuelle, c’est renforcer la crise démocratique. C’est dire aux Français qu’ils ont raison de ne pas croire les politiques ou les journalistes. Notre pays a besoin d’unité.

Avec l’article 24 de la proposition de loi « sécurité globale », qui vise à empêcher la diffusion malveillante d’images de policiers sur les réseaux sociaux, ou la réforme annoncée par Éric Dupond-Moretti visant à modifier le code de procédure pénale afin que les infractions commises par des non-journalistes ne soient plus protégées par la loi du 29 juillet 1881 garantissant la liberté de la presse, on a le sentiment que vous voulez décider qui est journaliste et qui ne l’est pas. Et que vous cherchez plus particulièrement à cibler les vidéastes ou journalistes militants…

Se demander ce qu’est aujourd’hui le métier de journaliste est une question fondamentale. On ne peut pas vouloir lutter contre les théories complotistes et les fausses informations et, dans le même temps, ne pas savoir identifier ce qu’est un organe de presse et ce qui ne l’est pas. Mettons-nous à la place du citoyen qui se demanderait quelle source est fiable, non pas au regard de la ligne éditoriale, mais de la qualité du travail journalistique qui a été réalisé. Aujourd’hui, les repères sont brouillés. Résultat, quand on se retrouve face à un objet comme Hold-Up, que certaines personnes prennent pour un documentaire car il en adopte les codes, qui est crédible pour dire qu’il ne s’agit en rien d’une démarche journalistique ?

Mais est-ce pour autant au gouvernement ou au législateur de définir qui est journaliste et qui n’est pas ?

Non, en aucun cas. Mais dire que le politique ne peut pas définir qui est journaliste ne doit pas dédouaner du fait qu’il va bien falloir que quelqu’un le dise ! La presse a d’ailleurs des codes de déontologie qui permettent d’en définir les valeurs fondamentales.

Ce n’est pas aux journalistes de décider qui est journaliste et qui ne l’est pas, ou qui est fondé à s’exprimer…

Il serait intéressant de savoir quelle est encore la valeur de la carte de presse pour la profession elle-même. Est-ce à dire que chacun peut aujourd’hui se proclamer journaliste au même titre que ceux qui en sont détenteurs ? Nous sommes face à un risque de dépréciation collective du métier car tout le monde peut être mis sur un pied d’égalité, quels que soient le parcours et la formation, et, surtout, les valeurs et les réflexes éthiques de chacun.

Chaque Français est fondé à s’exprimer en son nom propre. C’est la liberté d’expression. Mais chaque Français ne peut pas s’autoproclamer journaliste. Comme chaque Français ne peut pas s’autoproclamer médecin après avoir lu Doctissimo. Journaliste, c’est un vrai métier.

La République en Marche se présente comme le camp de la raison face aux fake news et à la désinformation. Mais n’est-ce pas contradictoire avec le fait d’avoir le front uni de la presse face à vous ?

Le législateur vient poser des limites. Mais la loi « sécurité globale » ne limite en aucun cas la capacité d’un média à critiquer aujourd’hui comme demain le pouvoir ou à montrer des images d’opérations de maintien de l’ordre. Elle protège des hommes et des femmes qui peuvent être du jour au lendemain surexposés jusqu’à prendre le risque qu’eux-mêmes ou leurs proches soient menacés ou agressés. J’habite dans un département qui a connu Magnanville : Jean-Baptiste Salvaing et sa compagne Jessica Schneider ont été sauvagement assassinés sous les yeux de leur enfant. Quel législateur peut uniquement détourner le regard et répondre « changez de métier si vous n’en assumez pas les risques » ? C’est la réponse de Jean-Luc Mélenchon, ce ne sera jamais la nôtre.

« J’aurais préféré qu’Aurélien Taché soit exclu plutôt qu’il ne parte de lui-même de la République en Marche car cela aurait montré une clarté dans notre ligne idéologique »

Vous avez réagi très vivement aux propos du député ex-LREM Aurélien Taché sur CNews qui semblait faire de la polygamie une affaire privée dont l’Etat n’aurait pas à se mêler…

Comment peut-on justifier au nom de la défense des libertés que des femmes subissent des certificats de virginité, des mariages forcés, des viols conjugaux et la polygamie ? Cela fait longtemps qu’Aurélien Taché ne fait plus partie de notre famille politique. J’aurais préféré qu’il soit exclu plutôt qu’il ne parte de lui-même de la République en Marche car cela aurait montré une clarté dans notre ligne idéologique.

Vous l’avez appelé à démissionner de son mandat…

Il ne le fera pas. Il est encore député pendant dix-huit mois. On verra s’il parvient à se faire réélire, et sous quelle étiquette. Il a beaucoup plus de choses en commun avec la France insoumise qu’avec nous.

Selon des enquêtes de Mediapart et Libération, le syndicat Avenir lycéen aurait été monté de toutes pièces et instrumentalisé depuis le ministère de l’Education nationale pour contrer la mobilisation des lycées sur la réforme du bac. Est-ce que ces révélations vous choquent ?

Ce qui me choque, c’est que la une de Libération est extrêmement cinglante contre Jean-Michel Blanquer (le ministre est qualifié de « Daron noir »), mais il n’est jamais cité dans les trois pages de l’enquête. Il n’y a rien qui l’incrimine. Ce qui m’interpelle aussi, c’est le matraquage permanent dont Jean-Michel Blanquer est la cible depuis qu’il a parlé, à raison, d’islamo-gauchisme en citant Edwy Plenel ou Jean-Luc Mélenchon. Il ne se passe pas une semaine sans que LFI ne s’attaque à lui à l’Assemblée. Les vérités qu’il énonce et dénonce dérangent.

« La grande révélation de cette enquête, c’est qu’un syndicat lycéen a été créé et que, comme d’autres, il a bénéficié de subventions transparentes ? »

Les accusations contre l’ex-numéro deux du ministère de l’Education nationale sont graves. Plusieurs membres du syndicat ont l’impression d’avoir été manipulés…

Je lis des témoignages contradictoires de jeunes qui sont ou ont été membres d’Avenir lycéen, dont j’ai à cette occasion découvert l’existence. La grande révélation de cette enquête, c’est qu’un syndicat lycéen a été créé et que, comme d’autres, il a bénéficié de subventions transparentes ? Dans d’autres temps, d’autres moeurs, les syndicats étudiants et lycéens étaient connectés directement avec les partis politiques. A droite, l’UNI était financée par l’UMP, et à gauche l’Unef ou la FIDL l’étaient par les socialistes. C’est sans doute d’ailleurs encore le cas aujourd’hui. Et quand leurs partis étaient au pouvoir, ils avaient tables ouvertes au sein des différents ministères.  »